jeudi 25 mai 2006

L'accident

Je viens de rentrer sur Paris.
Séjour écourté (je devais rester avec les Piafs jusqu'à dimanche dans les Alpes).
Un peu fatigué/éprouvé psychologiquement.

3h20 en 2 vols du coté de Gap avec de bons gains en thermique, Dimanche (au Colombis) puis Mardi (Orcières).

Et puis hier mercredi, je remonte avec Benoit sur Grenoble/Chambery.
Je décolle 1/2 heure après Benoit, vers 12H00, de MontLambert (au bord du massif des Bauges, à l'est de Chambery).
Ce site est orienté Sud-est et abrité du vent météo du Nord (présent ce jour là).
La plupart des ailes ploufent vers l'atterro, sauf quelques unes, comme Benoit qui fait un gain lui permettant un départ en cross (écourté) vers Albertville.

Je décolle... c'est parti pour plouffer aussi. Je perds rapidement une centaine de mètres par rapport au déco.
Mais je me bats et me bats encore. Du +0.5 m/s prolongera toujours le vol, me dis-je.

Et puis je choppe des trucs... qui me montent au dessus du déco. Joie. Mais c'est assez physique. Plus je monte plus c'est large (donc facile à garder) mais aussi de plus en plus fort. De bons "bip-bip" entrecoupés par des sorties de thermique de plus en plus "oléolé" (mais rien d'inquiétant : ça bouge, ça vit).
Entre deux, point de salut: même en se rapprochant de la pente, c'est au mieux du -1m/s...

Et puis je monte monte monte, montées entrecoupées de perte d'altitude liées à la recherche de nouvelles ascendances...
C'est un vrai combat.

+100m, pointes à +2-3m/s intégré: la joie d'un vol - me dis-je alors - bien prolongé.

+400m, pointes à +4-5m/s intégré: arrive l'espoir de transformer ce vol en vraie balade. Surement l'apogée, me dis-je...

+700m, pointes à +6m/s intégré: presqu'un vertige. c'est tout un autre univers, inhospitalier, grandiose, qui s'ouvre à moi. J'observe le sommet de la crête qui cache les Bauges : j'approche de son altitude. L'aile ferme de temps en temps. Des coups très secs se ressentent dans les lyres. Lorsque j'enroule en me décentrant, le bout d'aile extérieur ferme systématiquement, m'obligeant à me suspendre de toutes mes forces sur la lyre à l'intérieur du virage pour recentrer l'acendance. Lorsque clairement j'en sors, j'ai le net sentiment qu'on me pousse dans le dos... et lorsque, après avoir zoné, j'en trouve un, je dois passer en force pour y rentrer. Un mur. C'est très intense.

+800m, pointes à 6m/s intégré mais de plus en plus violent: L'aile plonge rapidement en sortie de thermique lorsque j'en sors après 2-3 tours mal centrés. Le cumulus qui coiffe la crête s'approche. J'aperçois un peu les Bauges. Tout est si petit en bas. Je vois les ailes qui plouffent se poser : de minuscules petits traits en approche.
Mais ça bouge et ferme beaucoup ici. Trop. Mains vers la poignée d'oreilles, je me décide mais....
... mais voilà : à l'instant même où j'effleure ma poignée, j'aperçois à 100m à coté de moi (même altitude) un parapente de marque NOVA, un peu secoué (tangage) mais sans un seul caisson fermé.
Suis-je au mauvais endroit ? Pourrai-je profiter plus longtemps de ce mérite de m'être battu en me plaçant dans un endroit moins turbulent ? C'est si beau...

J'abandonne l'idée de faire le oreilles et "file" vers la NOVA. J'approche. Ca secoue toujours beaucoup pour moi... mais lui, là-bas, si près, semble tellement plus zen sous son aile...
Et puis soudain, alors que je m'approchais... mon aile se cabre violemment. Le vario s'affole. +6.5 m/s (j'ai vérifié dans l'historique de mon vario, Drax). Mais instantanément. C'est très violent. Je passe d'un +0 turbulent à du +6.5 en 1/2 seconde.
Mon aile replonge... le vario hurle... je suis dedans. L'aile NOVA, devant moi disparait sous mes pieds. +930 mètres (une centaine de mètres pris en quelques secondes).
Je suis psychologiquement dépassé. Je le sais. Quelques secondes, puis le son du vario s'arrête net.... quelques dixièmes de secondes de silence de mort encore... tout flotte... j'observe les Bauges : c'est magnifiquement terrifiant.
Je repense au vent du Nord.... cisaillement... la trouille, la vraie... je me retrouve largement au dessus des 2-3 ailes aux alentours.
C'est ici, dans mon récit, que la vraie solitude commence...

Un chiffonnement de tissu assourdissant... celui de la violence, de la perte de controle... mon aile tourne violemment sur elle même (sur la gauche).
Sketch de Millau me revoila !
Je connais. C'est pas bon mais je connais : "Contre à fond, rétablissement, puis oreilles".
Je contre... mais ça tourne toujours très vite.... que se passe-t-il ?
Un coup d'oeil sur l'aile et je comprends tout de suite : C'est l'horreur, l'impasse : la demi-aile gauche (à 2-3 caissons centraux près) est enroulée dans mes suspentes.
Un noeud terrible, celui du rétablissement impossible.
Je pique du nez, tourne, tourne, tourne.
Je contre de toutes mes forces avec mon bras droit, ralentissant un peu la rotation. Mais c'est peine perdue pour choisir une trajectoire, même déviée : ça tourne, ça défile.
Poignées d'oreilles, à la manière de Maverick dans TOP GUN lorsqu'ils doivent s'ejecter lors d'une panne moteur de le leur F-14, alors en vrille à plat. "Attrappe, attrappe, attrappe bordel !" J'attrappe, je contre... ça tourne toujours bien trop vite...
Je relache tout, exténué. L'accélèration augmente... craquements dans le tissu, vent fort... défilement : crête, vallée, crête, vallée....
Je passe l'altitude de la crête... j'aperçois les arbres sous moi, sur la pente qui surplombe le déco.
Je suis centrifugé mais bien conscient.
Main sur la poignée du secours... vu mon altitude, j'éspère ainsi dériver dans les arbres et non plus sur la crête.
Lancer le secours, c'est accepter l'echec. "Signez en bas, monsieur. Vous acceptez ici d'avouer que vous ne savez plus voler".
Ok, j'avoue.
Le sol approche.
Eject ! Eject ! Eject !
Je saisi... et lance, de toutes mes forces vers le coté droit/arrière.... mais instantanément, il me remonte à la figure... je ne vois plus rien... juste le blanc du tissu du secours... que je dégage d'un revers de main.
Le secours est enroulé dans les suspentes et remonte tel un serpent vers l'aile.... sans l'atteindre.
Je me dis dans mon casque: "François, tu es fichu"
Les arbres approchent.
Reflexion.
"François, tu es encore en parfaite santé. Tu peux encore agir."
Je repense au ralentissement de la chute indiquée par mon vario lorsque je contrais, plus haut.
Je relache les lyres pour reprendre des forces. Ca accelère.
Attend les arbres, prépare un plan de sauvegarde... une énergie bizarre, sans limite m'envahie... une envie de survie indescriptible. Se battre jusqu'au bout, avec les moyens du bord. Saisir cette chance qui reste, de tomber dans les arbres.

Quelques secondes avant l'impact, à l'instant choisi, j'attrappe la lyre droite (celle qui porte) avec mes 2 mains et effectue une traction maximale au point - il me semble - d'en détendre partiellement le mousqueton central.
Si fort encore, que, déséquilibré, j'en pivote autour des lyres.
Le vent relatif baisse d'un coup puis..... CRAAAAC, FLLLOPPPP, CRAAAAC dans mon dos, le regard une dernière fois tourné vers le ciel et cette demi-aile en torche...
Tout s'arrête.

Je suis à l'horizontal.
Un silence accueillant. Le sol, le cui-cui des oiseaux, le bruissement léger des feuilles. Je suis vivant.
Je suis dans mon cocon, à l'horizontal, confortable.
Des branches vont-elles craquer encore, vais-je encore chuter ?
A priori non. Je suis bien accroché.
Pas de douleur apparente.
Je bouge une jambe. Ca marche.
La deuxième: ok.
Mes pieds (chevilles): ok.
La tête: ok
Les bras: ok.
Mes mains: ok.
Douleurs: rien. Mais alors rien du tout.
Je n'en reviens pas : j'aurais pu me faire plus mal en me tordant la cheville lors d'un simple gonflage à coté de chez moi.
Je regarde en bas: Je suis à 7 mètres/sol (aux dires des secouristes, plus tard), dans un sapin, enraciné avec tous ses copains dans une pente à 30° d'inclinaison.
J'aperçois un petit peu le vert de mon aile sur le sommet du sapin.
Je ne vois presque pas l'exterieur.
Je stoppe mon chrono : 40 minutes de vol.

Des voix.
Je crie : "C'est ok ! Je suis là".
Les voix insistent. C'est de l'anglais.
Je réponds en anglais : "I'm right ! it's ok !.... I'm here !"
Et puis plus rien... silence...
J'enlève quelques feuilles, branches.
Je cherche mon tel portable, appelle le 112: on me répond tout de suite, qu'ils sont déja au courant et qu'ils sont super contents de savoir que je vais bien et que j'ai eu l'idée/la capacité de les appeller.
Pour me situer : tout ce que je sais, c'est que je suis 349 mètres au dessus du décollage.
Mon GPS refuse d'indiquer mes coordonnées. Il a perdu le signal.
On parle quelques minutes et ils disent qu'ils arrivent. Ils me souhaitent bon courage.

J'en veux beaucoup à mon secours et à ce fichu appareil. C'est lors des moments difficiles que l'on comprend qui sont ses vrais amis. [...]

Un appel vers Benoit, resté en l'air et le reste de mon groupe.
Et puis c'est la solitude, entrecoupée de quelques coups de fil.
Je me rappelle de cette chenille grimpant impertubablement le tronc auquel je suis suspendu.
"Salut, toi !", lui dis-je, à voix haute...
J'ai envie de la remercier, de remercier la nature...
Je suis si heureux...

Les secours arriveront au bout d'une heure et demi. Une heure et demi à réflechir. Dégager par-ci par là une feuille ou mon secours encore entrotillé autour de moi.
Ils ont eu beaucoup d'appels par radio/téléphone pour annoncer l'accident mais personne n'était là pour leur dire où j'étais tombé. Aucun témoin pour les aider de manières précise.
Ils ont passé 1/2 heure à me localiser, à la voix (je sifflais de toutes mes forces).
Le bonheur de revoir un humain, courageusement et d'un pas décidé, grimper la pente en ma direction.
Une équipe de 5-6 gars, adorables, souriants, à l'écoute, efficaces, entrainés.
Chacun tenait son role.
Ils m'ont descendu : vive le sol !
Ils ont descendu mon aile et mon secours en essayant de ne rien couper/abimer... des anges !
J'ai plié ma cage (normalement), ils ont enroulé l'aile (avec le secours) en vrac autour, tout sanglé, mis sur leur dos. Il voulaient porter mon cocon et mon casque mais j'ai refusé. Je voulais les décharger au max.
J'ai une dernière fois observé, ému, cet arbre à présent abimé m'ayant sauvé la vie...
Je m'en veux de lui avoir fait du mal. Il n'avait rien demandé.
Et puis on a redescendu les 350 mètres à pied, comme si on venait de faire une simple rando.
J'étais si fier d'eux... ils ont juste pris mes coordonnées... ils ne voulaient rien d'autre : c'est "gratuit".
J'ai glissé l'unique billet de 50 euros que j'avais, dans la main d'un des gars et devant l'ensemble du groupe : "Payez-vous une bonne tournée de bières avec... MERCI MERCI MERCI".
Ils étaient très génés.

Voilà... c'est tout... je me suis retrouvé debout, au bord d'un parking, près de mon aile et mon secours en vrac...
A coté de la voiture.
Seul....
Mais vivant.
Un gars passe, style parapentiste : "tu as des news du gars qui est tombé dans les arbres ?"
Je réponds: "oui."
Lui: "Et alors ?"
Moi: "C'est moi."
Silence...
Lui: "C'est toi ???... tout tout tout va bien ?"
Moi: "oui."
Et il s'éloigne... bouche bée...

Il n'y a plus personne en l'air. Il parait que c'est devenu involable à cause d'un cisaillement ressenti jusqu'à l'atterro.

Mon aile est dans le même état qu'au décollage. La cage n'a rien sauf que le point d'accroche de la sangle du mousqueton n'est plus au centre du barreau de titi : facile à recentrer à la main.
J'ai fais quelques gonflages, "comme si" de rien n'était..

Benoit m'a dit, quelques heures plus tard : "si tu ne revoles pas tout de suite, tu risques de te dégouter de voler".
Je n'ai pas revolé, malgré son insistance, alors que la météo du soir est devenue plus douce, sur le site en face (Chamoux, sur lequel j'ai emmené Benoit pour qu'il vole).
Au déco de Chamoux, j'ai discuté avec un jeune parapentiste qui posait pour plier et redescendre une voiture.
Je l'ai aidé à plier son aile, tout en lui parlant de mon vrac. Il était adorable, souriant, ouvert, semblait comprendre... me rassurait.
Il me disait qu'il fallait que je souffle un peu... à mon rythme. Ce fameux rythme dont je vous parlais en début d'année, sur ce forum, vous vous rappelez ?
Il avait une Swing Arcus 3 et une Sup'Air Profeel XC...
Il habitait la région depuis peu. Sa copine était hotesse de l'air sur Orly...
Ils pensaient déménager sur Lyon, par soucis de commodité.
La vie, quoi...
Je lui ai posé plein de questions, touché/porté le materiel, tel un gamin découvrant au 1er jour... que l'on pouvait voler, si simplement.

Je revolerai.
2 jours après, j'en suis toujours au sûr.
Peut-être différemment. Mais oui.
Car j'avais déja envie de courir dans cette pente et espérer m'envoler.
Car j'ai "ça" dans les trippes.

Une dernière chose : Merci à mon "presque jumeau" (à quelques années près !), Drax, d'avoir été là, par téléphone, pour m'écouter et me réconforter.
Grace à lui, je suis parti de la gare de Grenoble plus léger que lors de mon arrivée quelques minutes plus tot.
J'en souriais ensuite pendant l'attente de l'arrivée du train, devant mon café et mon croissant...